Entre permanences et évolutions importantes, quelles perspectives pour les pratiques chorales en amateur ?

Restitution de l’étude « Les chœurs amateurs et leurs chef·fe·s en France en 2023 », par Guillaume Lurton.

Premier aboutissement d’un long travail collectif qui va se poursuivre, la restitution de l’étude nationale «Les chœurs amateurs et leurs chef·fe·s en France en 2023» s’est déroulée le 21 mars dernier au Conseil Économique, Sociale et Environnemental à Paris, en partenariat avec la COFAC.

Guillaume Lurton, maître de conférences à l’IAE de l’Université de Poitiers et membre du laboratoire CEREGE, a présenté une synthèse de l’étude qu’il a réalisée, avec le concours du collectif Choral.fr, dans lequel l’IFAC est fortement impliqué.

Rassemblant 40 participants sur place et 80 connections en direct, cette restitution a été l’occasion d’échanges passionnants et engagés.

Vingt ans après l’État des lieux du chant choral, réalisé au début des années 2000 par les Missions voix, le ministère de la Culture (DMDTS) et l’IFAC, cette étude fait le point sur l’état des pratiques chorales amateurs et sur leur évolution.

Elle documente la situation des chœurs et de leurs chefs.

Elle met en évidence les effets de la transformation des parcours de formation à la direction de chœur, et la professionnalisation qui en découle.

Elle apporte de nombreux questionnements sur les effets de cette évolution.

Cette étude va servir de base à toute une série de rencontres en région, organisées entre juin et fin novembre par les membres du collectif Choral.fr en partenariat avec différents acteurs territoriaux. Ces rencontres permettront aux acteurs des pratiques chorales (chefs et responsables des chœurs, choristes, partenaires associatifs et publics…) de partager leurs réflexions, de faire connaître leurs attentes et leurs besoins. Plus d’informations bientôt sur le site.

Quelques extraits du rapport de Guillaume Lurton

Choral.fr un collectif d’acteurs associatifs rassemblant l’Institut Français d’Art Choral (IFAC), la fédération A Cœur Joie, la Confédération Musicale de France (CMF), l’INECC Mission Voix Lorraine, le CEPRAVOI / Mission Voix en région Centre-Val de Loire, l’ARPA – Occitanie et la Cité de la Voix – Bourgogne/Franche-Comté.

L’étude n’a pas pris en compte les chœurs à vocation pédagogique (éducation nationale, écoles et conservatoires de musique), même s’ils ont une place importante dans le monde choral aujourd’hui.

En tant que loisir musical amateur détaché de considérations éducatives, le chant choral concerne en premier lieu des adultes (en particulier au delà de 45 ans), en grande majorité des femmes.

Le chant choral est très largement une pratique associative. Près de neuf chœurs amateurs sur dix sont constitués en associations autonomes. Dans le paysage des pratiques musicales en amateur, le chant choral s’impose comme une pratique de masse, marquée par ces caractéristiques originales.

Sur le plan des répertoires, le milieu choral touche à des genres extrêmement divers, et de nombreux chœurs sont des lieux de rencontre d’esthétiques hétérogènes. Les répertoires abordés se répartissent en trois grandes catégories :

  • spécialisés sur des répertoires dits “classiques”
  • spécialisés sur les répertoires de musiques populaires (musiques actuelles ou traditionnelles)
  • éclectiques.

La possibilité de cet éclectisme semble permettre de toucher un public large, notamment hors des grands centres urbains.

Le profil des chefs de chœurs connaît des évolutions claires. On constate à la fois le vieillissement et la féminisation de cette population. La féminisation semble en partie liée à un renouvellement générationnel. D’autre part, la base de la pyramide des âges est rétrécie. Rares sont les chefs de moins de 30 ans.

Autre évolution importante en 20 ans : les parcours de formation des chefs. De plus en plus de chefs se forment dans les conservatoires ou à l’Université, même si les formations par stages (proposés par les fédérations ou dans d’autres cadres associatifs) restent présentes.

Interrogés sur leur orientation professionnelle1, les chefs de chœurs sont majoritairement actifs dans le secteur musical. Les groupes des chefs dont la profession est en lien avec la musique se caractérisent globalement par un âge moyen moins élevé et par une proportion de femmes plus importante.

L’enquête nationale permet aussi de faire le point sur la professionnalisation de la direction de chœur. La rémunération des chefs de chœurs est désormais clairement majoritaire au sein du monde choral. Les chefs de chœur intègrent la direction de chœur dans un portefeuille d’activités en lien avec le secteur musical.

Cette évolution profonde appelle trois constats.Tout d’abord, le modèle de professionnalisation de la direction n’est pas stabilisé. Si la direction de chœur s’intègre bien dans l’écosystème des professions musicales, les pratiques ne convergent ni sur les montants des rémunérations, ni sur les statuts d’emploi.

Second constat, l’évolution démographique de la population des chefs de chœurs interroge quant au renouvellement de cette population. Le remplacement d’une génération de chefs bénévoles par une autre plus fréquemment professionnalisée n’empêche pas le vieillissement de la population dans son ensemble. La pyramide des âges s’étoffe du côté des chefs rémunérés sans que cette évolution ne compense son rétrécissement du côté des bénévoles. Et si les chefs rémunérés ont tendance à diriger plus de chœurs que les autres, il n’est pas certain que cela compense le vieillissement de la population des chefs dans son ensemble.

Cette remarque appelle un dernier constat. La professionnalisation transforme les relations entre le chef et le chœur. Les chefs bénévoles sont plus fréquemment fondateurs des ensembles qu’ils dirigent, tandis que les chefs professionnels ont plus tendance à diriger plusieurs ensemble. D’une manière plus générale, la professionnalisation transforme la pratique chorale dans son ensemble.

Quelles sont les conséquences de la professionnalisation de l’encadrement des chœurs amateurs ? Le modèle d’éducation populaire qui a sous-tendu le développement des pratiques chorales jusque dans les années 1980-1990 reposait sur l’engagement bénévole de chefs bénévoles. La professionnalisation des chefs découle d’une transformation de leur profil et de leur formation. Mais elle implique également une évolution dans la façon dont ces chefs rémunérés se projettent dans la pratique chorale. Elle transforme également les relations qu’entretiennent les chefs avec leurs groupes, et de ce fait l’expérience même des choristes et la dynamique globale du monde choral.

Une incertitude pèse sur la démographie des chefs de chœurs. La population des chefs est-elle stable ? En progression ? En recul ? L’enquête, et en particulier les conditions de construction de l’échantillon2, ne permet pas de lever les doutes sur le renouvellement de cette population. Elle établit néanmoins des constats (augmentation de l’âge moyen des chefs, difficultés des chœurs à recruter) qui soulèvent la question du remplacement des chefs de chœurs.

Au delà de l’enjeu de l’évolution démographique, la question qui se pose est celle de l’équilibre entre différents modèles de direction. La professionnalisation de la direction suffira-t-elle à compenser l’effacement progressif des chefs bénévoles ? Cette professionnalisation doit-elle être la seule voie d’évolution de la direction de chœur ?

Ces interrogations soulèvent d’autres questions sur les modalités d’accès à la direction de chœur et sur les cadres de formation. Les classes de conservatoire jouent désormais un rôle central qu’elles n’avaient pas il y a deux décennies. Sont-elles suffisantes pour alimenter les besoins en direction du milieu amateurs ? Les chiffres collectés par l’IFAC à la fin des années 2010 interrogent : de 2015 à 2018, 95 DEM de direction délivrés ont été recensés, avec un ralentissement constaté en 2019. Même si les DEM ne sont qu’une fraction de l’ensemble des élèves des classes, le décalage avec l’ampleur des pratiques chorales est flagrant.

L’autre question que soulèvent les classes de direction est celle du profil et du devenir de leurs étudiants. Permettent-elles une bonne compréhension des enjeux propres à la pratique chorale amateur des adultes ? Le rapport au répertoire qu’elles développent correspond-il à la réalité du milieu ? Et vers quelles perspectives de direction orientent-elles leurs étudiants ? Au delà du DEM, le modèle du conservatoire a comme horizon l’orientation vers les conservatoires nationaux et les Pôles supérieurs, la passation du DNSPM et du DE. Ces orientations sont en décalage avec la réalité du milieu amateur. Elles correspondent à la perspective de l’interprète travaillant dans un milieu purement professionnel, ou à celle de l’enseignant spécialisé s’adressant en priorité à un public jeune dans le cadre d’une école de musique ou d’un conservatoire. Cette tendance à vraisemblablement contribué à dynamiser les pratiques chorales juvéniles au cours des dernières décennies, mais on l’a vu, les pratiques chorales amateurs reposent également sur un autre modèle.

Troisième incertitude, celle des formes de la professionnalisation. Nous l’avons souligné, les pratiques sont très diverses en la matière. Les conditions de la professionnalisation portée par le milieu le plus proche des professions musicales (statuts de l’enseignement spécialisé, intermittence du spectacle), semblent clairement différentes de celles du reste du milieu associatif.

Les conditions de rémunération de la direction sont-elles amenées à converger ? Jusqu’à quel point ? Une homogénéisation des situations est possible (une telle enquête peut y contribuer ne serait-ce qu’en révélant l’état des pratiques). Mais la multiplicité des rôles de chef (à la fois artiste, pédagogue, animateur, médiateur…), comme celle des univers où se déploie le chant choral (milieu associatif, enseignement spécialisé, milieu de l’animation socio-culturelle…) contribue sans doute à la diversité des pratiques de rémunérations. Il n’est pas exclu de voire perdurer une coexistence entre profils de professionnalisation distincts.

Derrière la question de la professionnalisation, c’est celle des dynamiques propres au milieu choral qui est en question. Le modèle porté par les fédérations d’éducation populaire pendant plusieurs décennies reposait d’abord sur le rôle moteur de chefs bénévoles souvent issus du rang des choristes. La professionnalisation semble distendre le lien tissé entre chefs et ensembles. Les groupes dirigés par des professionnels ont moins souvent été fondés par leur chef, et voient leur direction changer plus fréquemment. La notion même de recrutement inverse la dynamique du milieu en faisant désormais reposer la pérennité du milieu choral sur l’existence de groupes constitués qui rechercheraient des chefs. Toutefois, ce modèle interroge.

Le renouvellement de la population des chefs est-il suffisant pour répondre aux attentes des chœurs en recherche de chefs ? Symétriquement, quelles dynamiques sont aujourd’hui à l’origine de la création de nouveaux chœurs qui assureraient le renouvellement des ensembles ? Quel rôle les chefs professionnels jouent-ils dans ce cadre ? Quels autres acteurs, ou institutions se substituent au rôle militant des chefs bénévoles d’éducation populaire ? Le poids croissant d’institutions, en particulier celle de l’enseignement musical spécialisé, peut contribuer à relayer en partie le dynamisme du milieu associatif. Toutefois, une telle évolution aurait sans doute des répercussions importantes sur les publics touchés par ces pratiques.

Si l’enquête éclaire de nombreuses évolutions du milieu choral, elle révèle également des points aveugles de notre connaissance de ces pratiques. Trois chantiers de recherches :

Un premier enjeu déterminant à explorer est celui du profil des choristes. Deux séries de questions demandent à être approfondies :

  • L’évolution de la population des choristes : assiste-t-on à un vieillissement et a un étiolement des pratiques chorales ? Ou à un renouvellement ?
  • La sociographie des choristes : quels sont les déterminants socio-professionnels et géographiques de la pratique chorale ?

Quelles formations à la direction pour quels chefs et quelles pratiques chorales ? L’enquête souligne que quelque soit leur profil, les chefs considèrent que leur formation n’était que partiellement en adéquation avec la réalité de la pratique de la direction auprès d’amateurs. Au delà de la diversité vraisemblable des situations, la prise en compte ou non des enjeux propres à la pratique amateur demanderait à être documenté plus précisément.

L’enquête présentée dans le cadre de ce rapport explore les pratiques chorales amateurs hors de tout cursus pédagogique. Les pratiques chorales des enfants et adolescents sont donc largement invisible dans ces résultats. Elles sont pourtant un versant important du monde choral. Une connaissance plus fine de ces pratiques, des formes qu’elles prennent, des enjeux qu’elles soulèvent en termes d’encadrement et de formation… serait importante pour compléter la présente enquête. A explorer également, l’articulation entre ces pratiques et les pratiques chorales associatives.

L’enquête et ses conditions de passations ont révélé la perte sur vingt ans d’outils de suivi du milieu choral amateur. Cette évolution se traduit par une difficulté accrue à documenter ces pratiques et leurs évolutions. Le paysage choral que dessine l’étude est riche, mais cet aperçu demande à être prolongé, complété. Des points aveugles restent à explorer.

La dynamique qui s’est mise en place à cette occasion souligne tout l’intérêt d’une approche coordonnée sur ces enjeux. La connaissance et l’accompagnement des pratiques chorales auraient tout à gagner d’une réflexion concertée sur l’harmonisation et la mutualisation d’outils d’observation et de suivi des pratiques chorales amateurs sur les territoires.

1 Les retraités étaient invités à répondre aux questions sur leur orientation professionnelle en se référant à leur période d’activité, et les étudiants selon leur projet professionnel et l’orientation de leurs cursus d’études.

2 L’absence d’observatoires stables de la vie chorale dans le temps est ici en cause.

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